Un regard matérialiste perçoit la nature de manière unilatérale. Il l’exploite pour son profit exclusif, sous la forme par exemple d’un beau paysage à admirer ou d’un plat à déguster. Mais il n’y a pas d’enseignement ni de lien réel car l’observateur est détaché de l’observé. C’est une relation à sens unique.
Se relier profondément à la nature est bien différent, car c’est pouvoir se laisser enseigner et la percevoir d’un regard neuf. Ce lien requiert une certaine humilité. Tout élément de la nature, même petit et faible, peut avoir une grande puissance évocatrice.
Piaf est un terme familier pour désigner un petit oiseau. Moineau, mésange, rouge-gorge, chardonneret…Ils sont présent dans nos jardins et forêts, souvent seulement perceptibles par leurs chants. Quelque soit notre lieu de vie, ils sont omniprésents, leurs chants rythmant nos journées et nos vies.
L’oiseau passe de la terre à l’air, du terrestre au céleste, du matériel à l’Esprit. Par son vol, il prend ses distances du sol et défie la gravité par une liberté aérienne inégalée et insolente. Qui n’a jamais rêver pouvoir voler ? C’est une animalité pure, fine, légère, libre, innocente, fraîche. Tel un ange ailé, il passe ses journées à monter et descendre sur l’échelle de l’Esprit.
Mais c’est au niveau du sol qu’il est le plus vulnérable, où les prédateurs sont les plus présent. Au plus il s’élève, au moins il se met en danger. Il existe certes des rapaces et des chats grimpant aux arbres, mais c’est dans son aspect aérien qu’il a presque le monopôle de l’espace.
Il est plus facile d’entendre leurs chants que de les observer. Les piafs se dérobent souvent de notre vue pour mieux exister par leurs sonorités particulières. C’est la modestie et l’humilité ultime que de se cacher pour mieux se faire entendre, devenir insaisissable au regard pour exister uniquement vocalement. Ce qui compte ici c’est le message et non le messager, le ramage et non le plumage. L’oiseau artiste n’a pas besoin de se faire connaître pour exister, l’exaltation de son chant suffit à l’exprimer.
Son chant devient liturgique, car il est dit que la langue des oiseaux est le langage de l’Esprit. Des vérités profondes et spirituelles se cachent parmi le langage le plus léger et anecdotique. Le piaf alors ouvre une brèche au coeur de l’homme par sa musique.
Dans l’Égypte antique, le jugement de l’âme des défunts est un procès durant lequel le coeur est pesé sur une balance en face d’une plume. Si le coeur est plus léger, le défunt a droit à la vie éternelle. Si par contre, il est plus lourd que la plume, le coeur est dévoré par un monstre. Il est condamné à une mort définitive et certaine. La plume est vue comme le symbole de légèreté et d’innocence, conditions d’accès à l’éternité. Le piaf dans ce cas nous enseigne au secret de la vie éternelle: par un coeur simple et unifié, une dimension libre entre le terrestre et le céleste, un chant triomphant sur sa propre apparence.
Car l’oiseau est soumis à la gravité de la matière. Mais il en joue, il s’en joue. Vivre uniquement selon le physique se réfère à l’animal seulement terrestre. Vivre selon l’Esprit, le coeur léger et unifié, nous délivre pour un temps de l’involution terrestre. Passer librement du terrestre au céleste, c’est le secret de l’apprentissage de la vie. Le piaf nous enseigne admirablement, en passant de la terre à l’air, de la lourdeur de la chair à la délivrance de l’Esprit.
Mais pour accomplir cela, il faut s’individualiser, se décharger de ce qui nous alourdit, nous divise et nous écartèle de nous même. L’apprentissage du vol s’apprend. C’est un voyage intérieur de libération nous préparant au retour à l’origine.
Contempler un piaf, c’est percevoir le chemin d’élévation de l’esprit, c’est rentrer en contact avec les principes transcendant nos limitations matérielles et la lourdeur de notre fardeau intérieur.