SPK était un groupe australien de musique industrielle et bruitiste des années 80.
Un des membres du groupe Graeme Revell, alors seul aux commandes de cet incroyable projet musical venu de nulle part, donna naissance simplement au chef d’œuvre de la musique dark et ambiant : Zamia Lehmanni songs of the Byzantine Flowers. Le thème est la culture byzantine (développement de l’Empire romain à la fin du IVe siècle), et son influence sur l’art symboliste et décadent, et sur ses subtilités et ses excès.
Le livret de l’album regorge également de citations d’auteurs tels que Huysmans, Mallarmé, Baudelaire, Lautréamont et autres Beckett, comme pour signifier l’étendue infinie de cette culture… mais cette musique unique est avant tout une véritable invitation au voyage, à la rêverie. Mais par des chemins tortueux, comme si l’âme humaine devait traverser sa catharsis avant de retrouver la sérénité…
Un chef-d’œuvre intemporel, organique et mystique que beaucoup considèrent encore comme LA référence, un mirage profond et incroyable le long des rivages perdus de l’histoire, de la culture et de la musique. L’ivresse sonore des senteurs piquantes et inoubliables d’un exotisme infernal.
« Pionniers du courant industriel avec Throbbing Gristle à la fin des années 70, les Australiens de SPK partagent avec le groupe anglais une préférence pour la déconstruction, la manipulation des masses par un détournement des médias, la gangrène humaine comme explication radicale aux maux de notre temps. Moins ouvertement politisé mais tout aussi prompt à user d’images et de slogans chocs, SPK a su renouveler son approche musicale à chaque démo ou album, de la noise extrême de “Information Overload Unit” (1981) qui anticipa la notion de power electronics aux saveurs tribales et post-punk de “Auto-Da-Fé” (en fait une compilation de singles et d’inédits, 1983), en passant par l’une des plus importantes références du genre, “Leichenschrei” (1982). De cette diversité s’échappe une constante, celle de frapper les esprits par un discours anticonformiste et une assise socio philosophique empruntant autant à Nietzche qu’à Bataille ou Bachelard. Le collectif va pourtant se dissoudre en 1983 pour renaître aussitôt en tant qu’entité monocéphale sous la férule de Graeme Revell (aujourd’hui compositeur pour le cinéma avec à son actif quelques “scores” magnifiques). Époque oblige, l’électronique prend le dessus et s’acoquine avec les dance-floors et “Machine Age Voodoo” sort en 1984, flop new wave qui agit comme un électrochoc pour ceux qui attendaient une radicalisation en réponse à l’ère Reagan. Pourtant Revell va surprendre son monde en cultivant les racines de la dark ambient (même si Lustmord les développera plus significativement peu après) avec “Zamia Lehmanni”, un enchevêtrement classieux de samples, chants religieux, nappes et “field recordings” et d’une aura mystique embaumée de fragrances XIXème (citations littéraires et historiques, influence de la culture byzantine sur le Romantisme et le Décadentisme européen). Évitant fort à propos le foutoir que pourrait représenter un tel canevas, la musique oscille entre pure ambient sombre et élans mystiques du plus bel effet, illustrant les mystères de civilisations reconquises par la littérature, la nature et ses merveilles (le zamia lehmanni, fierté du Des Esseintes de Huysmans dans “A Rebours”, est un ananas aux proportions inhabituelles) et une présence numineuse dans chaque évocation/invocation qui ponctue le cheminement du pélerin/auditeur, tant et si bien que l’on pourrait presque y déceler une analogie avec les travaux de Dead Can Dance de la même époque et surtout une préfigurations de certaines des envolées de leur “Serpent’s Egg”. Le chant de Sinan irradie par sa beauté et sa tristesse sur le fabuleux “In Flagrante Delicto”, sorte d’Ave Maria revisité et dont la force ne se dément toujours pas trente ans plus tard. Intemporel bien que bardé de références “Zamia Lehmanni” est ce que l’on nomme au-delà de tout axiome sujet/objet une pierre angulaire d’un édifice pourtant fragile mais sur lequel l’ouvrage du temps n’a aucune prise. Et si la version CD de 1992 supervisée par Lustmord (et éditée sur une subdivision de Mute) offre un mix quelque peu différent il rend un des plus beaux hommages qui puisse être à un chef-d’œuvre : demeurer à tout jamais dans un écrin que rien ni personne ne pourra souiller. » (chronique parue à l’origine dans Noise Magazine n°4, fev/mars 2008)