Qu’est-ce que la beauté ? Comment la perçoit-on au sein de notre environnement et notre vie ? Il est dit que la beauté est avant tout dans le regard de l’observateur. Elle serait donc dans ce cas subjective et relative. Unique à chacun. Mais quelles seraient alors les variables de perception ? Les critères de jugement ? Y aurait-il des points communs pour une même appréciation personnelle partagée ?

La beauté ne serait pas personnelle mais universelle, donc plutôt objective et absolue. Les proportions, les formes, l’harmonie, les sons, les couleurs, le contexte… Elle refléterait la grâce, l’élévation, la transcendance, l’écho de quelque chose de plus vaste. La même beauté pour tous. Des standards absolus.

Les modèles de beauté sont alors partout : dans la nature, chez l’homme… En percevant ces modèles, on s’ouvre à la beauté de l’absolu, par l’intermédiaire d’une peinture, d’un visage, d’un évènement.

L’amour de la vérité, la beauté comme miroir du divin : ils émanent de l’éternité pour se dessiner subrepticement dans la matière. Ces émanations peuvent nous enseigner, nous affecter, nous faire découvrir des vérités au-delà d’elles-mêmes, nous élever au-dessus d’elles. La réalité observée est donc beauté, car elle est un reflet temporaire et unique de causes atemporelles, les résultats de projections fugaces de principes éternels.

Dans cette logique, la raison et la folie sont les deux facettes d’un même principe éternel. Croissance et décadence. Construction et destruction.

Notre monde sombrant dans la violence et la confusion, les conflits et les divisions ; est alors une partie du reflet du divin. Une même beauté, car répondant à une harmonie céleste, celle de la loi supérieure des cycles et du renouveau. Le déclin d’une civilisation devient alors son aboutissement, voire son accomplissement si sa destruction est vécue en conscience. Son tour de roue est terminée, elle a assez servi et doit se renouveler. Elle entame une cristallisation, une rigidification de sa structure : les institutions et les gouvernements ne peuvent plus évoluer car ils servent une élite pour son profit exclusif, les valeurs sont inversées, les masses détruisent méticuleusement des siècles de constructions civilisatrices. 

La juste relation face à cette situation serait de capter les causes célestes, dont le déclin observé en serait l’effet. De dramatique, cette phase de fin de monde en devient une expression divine. Elle devient beauté car en harmonie avec les lois supérieures.

Car une chose peut être belle, que l’on aime ou pas, que l’on apprécie ou non. Notre jugement de valeur se pose comme subjectif. Si nous percevons sa racine et son effet (ici les principes cycliques et la destruction d’une civilisation) nous pouvons en faire partie car nous pouvons alors fusionner avec elle par notre perception. Notre reconnaissance et notre acceptation profonde de tout ce qui est, car faisant partie d’un même plan divin. La beauté de l’absolu nous élève, y participer nous rend témoin du divin en mouvement.

Il ne s’agit pas ici de résister à la marche du monde, ni de participer activement à sa destruction, mais de simplement l’observer comme le déploiement d’un principe supérieur.

Nous pouvons petit à petit renoncer à nos illusions humaines, encourager à nous rapprocher de nos aspects supérieurs plus proches de cette beauté : le courage d’y faire face, de renoncer à nos acquis et nos certitudes, d’abandonner nos illusions et nos possessions.

En aimant profondément et humblement, on accueille à chaque instant cette réalité comme une expérience de la matière, une émanation belle et fugace du divin. Tout ce qui est ancien, inharmonieux, laid, car en décalage avec cette réalité supérieure, disparait et est détruit. Tout ce qui est en phase avec cette logique de transcendance perdure.

La force qui élève est la même que celle qui rabaisse, la force qui construit est la même que celle qui détruit. La beauté de ce qui est construit se révèle également dans sa destruction. La naissance et la mort procèdent des mêmes principes éternels. La beauté qui les submerge, les faisant disparaitre jusqu’à les réduire en poussière, est la même que celle qui les a fait éclore et grandir, jusqu’à les mener à leur sommet. L’amour du divin est semblable à travers ce qu’il créé et ce qu’il anéantit.

L’éclosion d’une fleur est alors aussi belle que sa mort. Une fois son cycle de vie achevé, sa naissance et sa disparition sont autant en harmonie avec les principes de vie. Ce qui apparait et croît dans la matière est condamné à décroitre et à se dissiper, à redevenir poussière. Vie et mort, croissance et déclin, création et destruction sont les deux facettes du divin dessinant son empreinte dans la matière.

Si nous ne voulons garder qu’un aspect de la beauté, nous amputons notre réalité, nous repoussons une partie du divin, nous réduisons notre capacité d’amour à des jugements humains donc relatifs. Dire oui à un instant de vie difficile et douloureux tel un effondrement revient alors à dire oui à toute l’existence et à toute la création.

Les deux aspects de la réalité sont à accueillir et à traverser en expérience et en conscience : le bon et le mauvais, l’agréable et le désagréable, le beau et le laid… pour tendre vers l’union et l’unité, et nous rapprocher du plan divin. C’est certes un exercice douloureux, mais l’absolu est bien au-dessus des considérations humaines et des phénomènes temporels.

La destruction de l’œuvre matérielle par les lois cycliques célestes représente le couronnement du créateur. Tout ce que nous avons créé tout au long de nos vies : patrimoine, carrière, société (qui représente le résultat de la somme du travail de chacun de ses membres) est frappé par les forces divines. En général, elle est détruite par un ennemi, une révolution, une guerre, une tempête… qui ne sont que des forces temporelles au service du divin. L’œuvre étant rigidifiée et donc fragilisée, elle devient soudain vulnérable à des forces hostiles qui peuvent alors la détruire facilement et la soumettre. Souvent, un évènement mineur suffit à déclencher des conséquences bien plus fortes, voire fatales.

L’œuvre est achevée, elle a permis l’expérience humaine et une évolution de la conscience individuelle et collective. A la fin du cycle de manifestation, elle disparait pour mieux renaître sous une forme correspondante à la nouvelle conscience.